23 juillet 2005

Tentative de coïte : Alice au pays des miroirs

Puisque mes muses carnetières (Catherine et Anne Archet) coïtent sans vergogne aucune, elles m'ont inspiré et je tente l'expérience. Voici mon texte pour le dernier thème : Alice au pays des miroirs.

Alice au pays des miroirs

«[…]
Quelle idée de peindre une pomme
Dit Picasso
Et Picasso mange la pomme
Et la pomme lui dit Merci
Et Picasso casse l'assiette
Et s'en va en souriant
Et le peintre arraché à ses songes
Comme une dent
Se retrouve tout seul devant sa toile inachevée
Avec au beau milieu de sa vaisselle brisée
Les terrifiants pépins de la réalité.»


Jacques Prévert, « Promenade de Picasso »

Dans un espace sans temps gisent des objets réfléchissants, de forme conique, cubique, concave, convexe, sphérique, polymorphique, polémique et encore plusieurs autres. Il n'y a qu'eux, le blanc de l'espace, les images réfléchies ainsi qu'Alice. Alice, les lèvres en o, s'extasie, en courant de l'une à l'autre de ces formes, de voir ces mille elles, de voir toutes ces Alice possibles : ici, elle est belle, grande, mince ; là, petite, grosse et laide ; plus loin, sans lumière et maladive par un miroir dépoli ; là-bas, la peau saintement illuminée par un verre dur. L'horreur de l'erreur conique, où de la pointe qui perce son cœur s'éclate son être comme un globe terrestre que l'on forcerait d'aplanir, la fait rapidement pivoter de dégoût, pour ne pas voir. Elle se duplique à l'infini au travers de cette orgie miroitante, infini amplifié par des images pénétrées d'images, multipliant, par cette ingérence des différentes elles, les réalités possibles.

Parmi ces miroirs, elle en trouva un qui la rendit tel qu'elle voudrait être. Sans pouvoir se l'expliquer, en se mirant dans cette surface particulière, elle sentit un amour inconditionnel affubler son être. Elle frissonna de la naissance de ce désir, de ce désir inconnu pour la jeune femme qu'elle mirait. Alice dit alors impulsivement, tendant un doigt autoritaire vers le miroir : « voici qui je veux être. » Tous les miroirs, sauf celui pointé, disparurent soudainement. L'espace, faute d'images, s'obscurcit. Elle regarda à nouveau l'image ainsi figée pour toujours et une grande déception l'accapara : ce n'est qu'elle, sans artifice. L'image miroitée lui présente sa moue habituelle. Son petit visage se décomposa, plein d'amertume. Elle découvre que le miroir choisi n'est qu'un vulgaire miroir plat, que c'était le reflet infini des autres images, des autres réalités possibles, qui contribuèrent à l'embellir, à la rendre entière. Parce qu'elle s'est naïvement laissée piéger au jeux pervers du pays des miroirs, elle doit maintenant affronter la terrifiante image de la réalité.