16 juillet 2005

Chroniques gatinoises : L'indiscipline des piétons et des cyclistes (première partie)

Essai en trois temps sur l'idéologie routière. [1, 2, 3]

Ce texte est inspiré d'un débat qui fit rage entre une personne qui m'est proche et moi-même, lors de mon récent séjour à Gatineau -- spécifiions ici que la ville du débat est révélatrice du contenu puisque Gatineau est complètement subjuguée par l'idéologie du transport motorisé en solo (mais accordons qu'un effort est entrepris pour diminuer le taux de motorisation).

La question centrale tournait autour du partage de la route entre piétons, cyclistes et automobilistes. Le débat, très animé, a pris naissance lorsque mon interlocuteur, automobiliste convaincu, s'est exclamé : «si les piétons et les cyclistes veulent utiliser nos rues, qu'ils respectent le code de la route!» Le sujet est d'autant plus d'actualité, et impliquant un environnement urbain moins motorisé (Montréal), depuis que la coroner chargée de l'enquête a statué récemment que la cause des décès de deux piétons survenus en 2001 et 2002, happés par un autobus sur la voie réservée du boulevard Pie-IX, est attribuable à l'indiscipline des victimes.

I - Question de coûts : les propriétaires de la route


Comme je m'y attendais, mon interlocuteur m'a présenté dès le début du débat un argument solidement ancré dans la pensée des usagers de la route (autant chez les automobilistes que chez les piétons) mais qui se révèle n'être qu'un lieu commun sans fondement : la route appartient aux automobilistes, particulièrement l'emprise bitumée. Ce paralogisme universellement répandu chez les automobilistes s'explique aisément par les coûts astronomiques engendrés par la possession d'un véhicule motorisé : plus de 6000 $CAN par année ! [CAA, 2005]. À ce prix-là, la route doit nécessairement leur appartenir ! Faux. En ce qui concerne les piétons, vu l'espace principalement réservé à la circulation motorisée, il est évident que ceux-ci conçoivent leur présence comme n'étant que marginale sur les routes, donc celles-ci leur semblent appartenir aux automobilistes.

Les automobilistes ont torts de penser que la route leur appartient. L'ensemble de l'infrastructure routière du Québec est financé par les différents paliers gouvernementaux, ce qui en fait une propriété publique financée par tous. Dans l'étude citée plus haut de la CAA sur le coût d'utilisation d'une automobile, le calcul se compose des coûts d'assurances, de permis de conduire et d'immatriculation, de dépréciation, du financement, de carburant, d'entretien (du véhicule) et de pneus. Il n'est nullement question de coûts d'entretien et de construction de bitume. D'autre part, pour 2005-2006, le gouvernement du Québec prévoit injecter 1,3 milliard $CAN dans l'infrastructure routière. Ceci en très grande partie pour le réseau routier supérieur (autoroutes et routes provinciales). La voirie locale est financée de son côté par les municipalités. Par exemple, la Ville de Montréal réserve,pour 2005, 324 millions $CAN au le réseau routier. Donc en se qui a trait à la question de propriété, les automobilistes n'ont aucun droit de revendiquer une possession exclusive du réseau routier québécois. Jusqu'au moment où nous verrons apparaître une autoroute privée au Québec, nos routes appartiennent à tous, et non pas aux seuls automobilistes.

Ce qui m'amène à penser (en fait, j'ai préalablement lu cette réflexion quelque part mais je n'arrive pas à retrouver la référence) que les automobilistes sont directement financés par l'état, qu'ils sont gagnants des transferts de la richesse et du financement collectifs du réseau routier, et qu'enfin, les coûts associés à leur choix de déplacement seraient plus élevés si le système fonctionnait selon le principe d'utilisateur-payeur. Par exemple, les coûts reliés à l'entretien des ponts Jacques-Cartier et Champlain à Montréal reviennent en moyenne à 0,70 $CAN par passage de véhicule motorisé (petit calcul personnel issu des données de la PJCCI). Pour un citoyen habitant la Rive-Sud et travaillant sur l'île de Montréal, et disposant de quatre semaines de vacance par année, il lui en coûterait 336 $CAN / an pour continuer ce mouvement pendulaire écologiquement irresponsable, présentement financé par l'ensemble des contribuables.

Certes, tout citoyen utilise indirectement le réseau du routier si nous tenons compte du transport de marchandises. Or, toujours selon le concept d'utilisateur-payeur, les coûts reliés à ce type de transport se transféreraient tout simplement de nos taxes au prix de la marchandise, reflétant ainsi le coût réel du transport. De ce fait, autant les consommateurs que les manufacturiers seraient alors tentés par des moyens de transport rationnellement plus économiques et plus écologiques, quitte à sacrifier quelque peu l'ultra-mobilité qu'apportent les véhicules individuels (autant pour le transport des individus que pour celui de la marchandise). Cela incitera en plus les consommateurs à acheter des produits locaux (donc écologiquement plus responsable, voir le Non-loin du 3N-J) plutôt que des produits importés puisque les premiers seront théoriquement moins chers (du moins en ce qui concerne les coûts de transport; la question de la diminution des coûts due à la délocalisation de la production est un autre sujet que je n'aborderai pas ici).

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II - Question de coups : l'assurance automobile. (à venir)

III - Question de sécurité : un code pour policer les transports. (à venir)