07 août 2005

... j'ai rajouté un peu de sel.

Pour Coïtus Impromptus. L'exigence de la semaine : le texte doit se terminer par «... j'ai rajouté un peu de sel.»

[Avertissement : Hormis le texte en italique, les propos des personnes sont soit inventés, soit romancés.]
«La vertu, purificatrice et protectrice, du sel est utilisée dans la vie courante nippone […] Placé en petits tas près de l'entrée des maisons, sur la margelle des puits, aux angles des terrains de lutte, ou sur le sol après les cérémonies funéraires, le sel a le pouvoir de purifier les lieux et les objets qui, par inadvertance, se trouveraient souillés.»
-- Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 858.
Mon nom est Shuntaro Hida. Je suis médecin et j'ai 88 ans. J'étais à cinq kilomètres d'Hiroshima lorsque la bombe explosa le 6 août 1945, à 8 h 14. Dans le village où je me trouvais, le souffle apocalyptique arracha les toits, brisa les fenêtres, déchira les chaires. Par chance, je survécus. Encore sous le choc, j'enfourchai alors ma bicyclette et pédalai comme un fou jusqu'à la ville. Sur la route, je rencontrai les premières victimes qui fuyaient. Ce n'étaient plus des êtres humains, mais des monstres carbonisés. Leur peau était en lambeaux. Je me rappelle que des irradiés sautaient dans l'eau salée. Le contact avec le sel de cette chaire à vif devait être d'une douleur insupportable.

***
Mon nom est Saburo Muraoka. Je suis aujourd'hui artiste, mais en 1945, j'étais membre d'un commando dans l'armée japonaise. J'ai vu la terre brûlée d'Hiroshima peu après la bombe. En 1994, je créai «Salt Cloth», un tissu de trois mètres cinquante de haut recouvert de sel. Je me suis demandé si la vie pouvait endurer l'affranchissement de l'énergie nucléaire. Le sel me rappelle ces mers, autrefois riches en vie, brûlées par des siècles de la chaleur ; ces mers devenues déserts, comme ce jour du 6 août 1945 à Hiroshima, où la vie, en quelques secondes, fut exterminée.

***

Je me nomme Frédéric Le May. Je n'étais pas à Hiroshima en 1945, ni mon père ni ma mère n'étant même pas encore nés. Mon souvenir n'est qu'un collage d'histoires issues d'une mémoire collective, qu'un oubli volontaire d'un passé atroce et d'une négation des horreurs d'aujourd'hui. Comme les autres, par manque de mémoire, je perpétue l'erreur d'être humain.

Sur cet édifice mémoriel et cruel, afin de conserver pour toujours, putréfiés, les souvenirs de notre barbarie humaine, avec ce texte j'ai rajouté un peu de sel.

[Témoignage du docteur Hida]
[Un aperçu du « Salt Cloth » de Saburo Muraoka]

[Corr. 7/8/05 : Ajouté un élément temporel dans le récit de Muraoka afin de créer un effet de dichotomie entre la lente évolution de la nature et la transformation radicale et rapide que l'humain peut lui infliger. Cette correction ne se retrouve pas dans le texte original sur le site du Coïtus Impromptus.

2 non-dit(s):

Blogger Pseudo-intellectual lunatic non-dit ceci...

aye aye aye la policia

12:06  
Blogger Patrick Dion non-dit ceci...

Monsieur l'Indécrottable, vous voulez bien m'écrire à dipat@hotmail.com je vous prie.

14:49  

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